« Le Sexisme Est Partout, Nous Aussi » : Des Collages Pour Lutter Contres Les Féminicides

Le samedi 20 mars 2021, la police retrouvait le corps de Magali Blandin, tuée un mois plus tôt par son mari à coups de batte de baseball. En septembre dernier, la plainte pour violence déposée par la victime avait alors été classée sans suite. Loin d’être un cas isolé, ce féminicide est le résultat d’une violence structurelle institutionnelle. En France, c’est une femme qui meurt tous les 2 jours battue par son conjoint. Pour dénoncer ces violences, les membres du mouvement Collages Féminicides Paris (CFP) se réunissent depuis 2019 et affichent leurs slogans à l’encre noire sur les murs de la capitale.

« À NOS SŒURS ASSASSINÉES »

En France, 81% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics et 32% sur leur lieu de travail. En 2019, c’est aussi 146 femmes mortes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. La même année, des personnes se réunissaient au sein du mouvement Collages Féminicides Paris (CFP) pour coller leurs slogans et dénoncer les violences faites aux femmes.  

Collages Féminicides est un mouvement féministe horizontal et décentralisé. À Paris, Caroline,  Sophie et Juliette – respectivement âgées de 38, 29 et 32 ans – se sont engagées au sein du mouvement il y a bientôt plus d’un an. « Il m’a fallu un confinement pour passer à l’action », explique Sophie. « Je sortais tous les quatre jours pour faire mes courses. Les rues étaient complètement vides. Sur les trois personnes que je croisais, deux harceleurs de rues et la caissière. Ce n’est plus possible ». Pour Caroline, ces messages sont essentiels : « Il s’agit de briser le silence autour des violences faites au femmes et de faire changer la honte de camps ». Depuis sa création en 2019, Collages Féminicides s’est élargi et compte de nombreux·ses activistes dans toute la France. Aujourd’hui, le mouvement dépasse largement les frontières françaises. De nombreux·ses féministes se sont ainsi mis·es à coller en Italie, en Allemagne, en Angleterre, et jusqu’en Syrie.  

« DES SISTERS, PAS DES CISTERFS »

La cause féministe est toutefois loin d’être un mouvement uni. En effet, le port du voile, la prostitution, ou encore la trans-identité sont autant de sujets qui divisent. Comme le démontre l’histoire du mouvement Collages Féminicides à Paris (CFP), il ne s’agit pas d’un mais des mouvements féministes.

Le 7 mars, soit un jour avant la journée internationale de la lutte pour le droit des femmes, de nombreux mouvements féministes se réunissaient pour manifester. Sur la place de la République à Paris, des activistes antifascistes ont alors pris à partie des militantes opposées à la prostitution et tenant des propos transphobes. Si cette altercation semble être un évènement isolé au sein de la manifestation, elle cristallise néanmoins les divisions au sein des mouvements féministes. Parmi les militantes visées : Marguerite Stern, ancienne Femen et à l’origine co-fondatrice de CFP. En réaction à des propos jugés transphobes et à ses positions contre le voile, l’activiste avait été exclue peu après les débuts du mouvement CFP.  

Peu avant la confrontation, sur la place de la République les activistes de CFP scandait « pas de féministes sans les putes » pour indiquer leur soutien aux travailleurs et travailleuses du sexe (TDS). Au coté de Marguerite Stern, des militantes anti-prostitution se présentaient comme survivantes et dénonçaient les violences qu’elles avaient subies. D’après Sophie, elle aussi présente à la manifestation : « Il ne s’agit pas de nier leur expérience et la violence qu’elles ont vécues. Cependant, il y a une variabilité dans les expériences qu’il ne faut pas invisibiliser. Certain·es TDS préfèrent faire ça plutôt que d’aller nettoyer les toilettes pour un salaire misérable, et c’est leur droit ».  

Au travers de ces actions, CFP est un mouvement intersectionnel ayant pour objectif la convergence des luttes, et ce contre les violences et discriminations de toutes sortes : « CFP dénonce les privilèges et systèmes de domination de manière globale. Nous militons pour le droit des femmes mais aussi toutes les minorités de genre et toutes les catégories opprimées de la population », affirme Juliette. 

Au travers de ces positions, CFP s’inscrit ainsi dans le chemin ouvert par la juriste noire américaine Kimberlé Williams Crenshaw, ayant à l’origine développé le concept d’intersectionnalité pour décrire la situation de personnes simultanément victimes de sexisme et de racisme. La juriste et activiste féministe évoque une « double discrimination » liée au fait qu’une femme noire est non seulement victime de discriminations liées à son genre, mais aussi à sa couleur de peau. Si nous ne pouvons différencier de races humaines du point de vue biologique, ces dernières existent bel et bien dans l’imaginaire collectif et ont des conséquences sociales et économiques réelles. Ainsi, une femme noire ne vit pas les mêmes formes d’oppression qu’une femme blanche. Cette approche de déconstruction sociale est essentielle au sein de CFP. Selon Sophie, « on ne peut pas reprocher aux hommes cis-genres blancs de ne pas écouter notre expérience si en tant que femmes blanches nous ne questionnons pas aussi nos propres privilèges sur les questions raciales. Il ne s’agit pas de défendre un féminisme bourgeois blanc, mais de lutter contre toute forme d’oppression ».

En se positionnant sur toutes les formes de discrimination, CFP défend un féminisme qui se veut inclusif. Depuis sa création, c’est cette même inclusivité qui a permis à Collages Féminicides de rassembler autant d’adhérent·es. À ce jour, le mouvement compte entre 1500 et 2000 membres partout en France. Pour finir, si certains mouvements présentent une définition du féminisme plus exclusive que d’autres, tous s’accordent néanmoins sur un même point : l’existence d’une société patriarcale et la nécessité de lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

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Crédits : Mouvement Collages Féminicides

« PAS TOUS LES HOMMES, MAIS ASSEZ POUR QU’ON AIT TOUTES PEUR »

Dans la rue, les collages de CFP provoquent de nombreuses réactions, parfois violentes. Si certains hommes viennent décoller les slogans, d’autres s’attaquent parfois physiquement aux activistes. « Pendant un collage dans le 20ème arrondissement, certains ont même voulu nous renverser en voiture », raconte Caroline. « Cette violence et ces réactions sur la défensive ne sont pas anodines : on vient réveiller quelque chose, un inconscient collectif », ajoute-t-elle. 

Depuis l’affaire Weinstein et l’affaire Polanski deux ans plus tard, des milliers de femmes ont dénoncé et témoigné des violences et harcèlements sexuels exercés par des hommes à leur encontre. Face à cette libération de la parole et aux chiffres démontrant l’aspect structurel de ces violences, de nombreux hommes ont été amenés à se défendre et à se justifier individuellement ou collectivement – utilisant notamment le hashtag #NotAllMen sur les réseaux sociaux. Comme l’explique Caroline : « En plus d’être constamment confrontées aux remarques sexistes, nous devons souvent ménager la sensibilité des hommes, beaucoup sur la défensive ». Selon Caroline, il ne s’agit pas d’accuser tous les hommes mais de comprendre qu’il s’agit d’un phénomène structurel, et non d’accidents ou de quelques comportements déviants.

D’après Juliette, il s’agit aussi pour toute la société de se remettre en question. « Nous sommes extrêmement nombreux·ses, d’une manière ou d’une autre, à avoir eu des propos ou comportements sexistes, ou encore des relations sexuelles où le consentement était peu clair. Dans une société patriarcale, c’est inévitable ». Le terme sociologique de la « culture du viol » est alors de plus en plus utilisé pour décrire non les violences elles-mêmes, mais une société où ces violences sont minimisées, où les victimes deviennent suspectes et où les agresseurs sont excusés.

Depuis quelques années, plusieurs pays ont inclus la notion de consentement au sein de leur législation – un grand pas dans la lutte contre les violences sexuelles. C’est le cas du Danemark en décembre 2020, qui devenait le 12ème pays d’Europe à reconnaître les rapports sexuels non consentis comme des viols. En France, l’article 222-23 du Code pénal définit le viol comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Non seulement cette définition exclut la notion de non-consentement, mais elle ne correspond pas à la réalité de la plupart des viols. Elle reproduit en effet le mythe sur le viol dans l’imaginaire collectif, selon lequel un viol est commis par un inconnu dans un parking ou une ruelle sombre. En réalité, d’après une enquête du collectif #NousToutes, 9 femmes sur 10 connaissent l’agresseur et 1 femme sur 3 déclare qu’un partenaire lui a déjà imposé un rapport sexuel non protégé malgré son désaccord.

« FEMINICIDES : ÉTAT COUPABLE, JUSTICE COMPLICE »

En 2017, lors de son discours à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Emmanuel Macron annonçait que la lutte contre les violences sexuelles et sexistes faites aux femmes serait « la grande cause du quinquennat ». La priorité annoncée était donc la suivante : « faire de notre société une société plus égalitaire, plus juste ». Depuis cette déclaration, Edouard Philippe annonçait en novembre 2019 trente nouvelles mesures lors du Grenelle contre les violences conjugales. Ces dernières incluent notamment l’ouverture d’un numéro d’urgence 3919 ; une formation à l’accueil des victimes de violences conjugales dispensée aux policiers et aux gendarmes ; ainsi que l’inscription de la notion d’emprise dans le code pénal et dans le Code civil.  

En novembre 2020, soit un an après ces annonces, les associations rendaient compte d’un bilan mitigé. Si des mesures législatives supplémentaires ont été adoptées, les associations dénoncent le manque de transparence et de moyens contre les violences faites aux femmes pour mieux prévenir et protéger. Notamment, la question de l’hébergement spécialisé des victimes de violences conjugales et de leur mise à l’abri – enjeu essentiel du Grenelle contre les violences conjugales – n’a pas été suffisamment prise en compte. Par ailleurs, aucun budget supplémentaire n’a été engagé pour financer les actions de sensibilisation et de formation. En novembre 2019, le mouvement Collages Féminicides affichait déjà le slogan : « Grenelle : marre des coups de com’ sur les violences faites aux femmes ».

Pendant le confinement, la Fondation des femmes a toutefois observé la réactivité et mobilisation des pouvoirs publics, se traduisant notamment par une meilleure prise en compte des signalements par le système judiciaire et policier. D’après la Fondation des femmes, ces actions ont contribué à la baisse des féminicides en 2020, comptant 90 femmes tuées par leurs conjoints ou ex-conjoints contre 146 féminicides recensés par le gouvernement en 2019. Pour Sylvie Pierre-Brossolette, journaliste et membre de la fondation des femmes, c’est la preuve qu’il n’y a pas de fatalité à ce que les institutions ne protègent pas convenablement les victimes. Néanmoins, selon la fondatrice de #NousToutes Caroline De Haas : « il est encore trop tôt pour acter une tendance à la baisse car cela peut remonter l’année prochaine », ajoutant qu’avec « encore près de 100 mortes, on ne peut pas se satisfaire ».

Si certaines mesures – comme le déploiement de bracelets anti-rapprochement – ont récemment été mises en place, un travail de sensibilisation et de formation reste à faire. Le 6 mars, la Police Nationale twittait : « Envoyer un nude, c’est accepter de voir cette photo partagée ». En réaction, de nombreux·ses utilisateurs et utilisatrices dénonçaient la systématique culpabilisation des victimes. Comme indiqué par la députée européenne Aurore Lalucq : « Ne pas confondre victime et coupable. Envoyer un nude n’est pas un délit. Publier une image sans l’accord de la personne l’est. C’est sur ce point que de la pédagogie et communication serait utile ». Peu de temps après sa publication, la police nationale retirait son tweet, ayant reconnu « une maladresse ». Cette culpabilisation des victimes s’observe également dans les commissariats de police, où la parole des victimes est souvent remise en cause et où peu de formations à leur accueil sont mises en place. Ainsi, plus de 80% des femmes victimes de violences physiques et/ou sexuelles ne portent pas plainte.

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Crédits : Mouvement Collages Féminicides

Loin d’être un évènement isolé, le blâme des victimes de violences et de harcèlement sexuels est un phénomène structurel présent jusque dans les instances de justice. Comme le démontre le rapport de l’Inspection Générale de la Justice (IGJ) pour le ministère de la Justice publié en novembre 2019, les signalements de faits de violences auprès de la police ou des gendarmes et le dépôt de plainte ne garantissent pas souvent une saisie de la justice. Selon le rapport, 80% des plaintes déposées pour homicides ou tentatives d’homicides conjugaux ont été classées sans suite sur décision du parquet. Dans les cas concernés, 85% des auteurs sont des hommes et 83% des victimes sont des femmes. Selon Sophie, ce manque de protection de la part des institutions est inacceptable : « Ce n’est plus une violence systémique, c’est une hyper-violence ».

Comme le démontre également les récentes révélations sur l’affaire Duhamel, les accusations contre Patrick Poivre d’Arvor ou encore Pierre Ménès, les violences sexuelles et sexistes et la culture du viol sont des phénomènes structurels, touchant toutes les classes sociales jusqu’aux plus hautes sphères de la société. C’est sur ce même principe qu’il faut alors sensibiliser, éduquer et déconstruire la société à tous les niveaux pour lutter contre ces violences, et plus généralement contre toute forme d’oppression systémique. 

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Valentine holds a Bachelor’s degree in International Relations from Amsterdam University College and wrote her dissertation on the French government’s securitisation of Islam through counterterrorism and secularism. She is currently pursuing her Masters in Middle Eastern Politics at SOAS University of London. Her fields of interests include state violence and terrorism, human rights, and intersectional feminism.

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